Hommage du 25 août 2023
Hommage aux incorporés de force.
Mesdames et messieurs, chers enfants, nous ne devons pas oublier cette date funeste du 25 août 1942.
Nous partageons la douleur des « Malgré Nous » et leur souffrance. Pensons d’abord à la souffrance de l’enrôlement.
Être contraint de servir le camp adverse du sien, devoir endosser l’uniforme de l’ennemi, devoir honorer un drapeau détesté, être contraint de prêter serment à la puissance occupante, être contraint de renier sa patrie, son pays et ses valeurs, être obligé de faire ce que l’on ne veut pas faire, être forcé d’assister à l’exécution d’un camarade, être profondément contraint à tant d’horreurs dans sa chair, sa conscience et dans son âme par la violence, la terreur, la peur.
Nous savons combien cette période de l’histoire de l’Alsace et de la Moselle est sensible et douloureuse pour ceux qui l’ont vécu et aussi pour leurs familles. Douloureuse pour les Alsaciens et les Mosellans, si nombreux, dont un parent ou un proche a vécu le drame des « Malgré Nous «
Adolescents et jeunes adultes, victimes de l’Histoire et de la barbarie, victimes au prix de leur jeunesse et souvent de leur vie.
Nous leur rendons un hommage solennel. Agir sous la contrainte mais surtout sous la menace. Menace de s’en prendre à nos parents, à nos proches, à nos amis, à ceux qui nous sont chers. Craindre pour eux, pour soi, ne plus savoir quoi faire... Lorsqu’on a seulement dix-sept ans, devoir prendre rapidement une décision que même la réflexion et l’expérience d’un adulte auraient du mal à surmonter.
L’ennemi d’alors se rend compte que les Alsaciens étaient des opposants au régime nazi. Il emploie les moyens les plus durs : violences physiques, confiscation de biens, censure postale, éloignement des familles, emprisonnement, déportation, exécution. N’oublions pas que le décret de 1942 fut complété en 1943 pour instituer la responsabilité collective des familles et des amis des réfractaires. Face à ces mesures coercitives mais avant tout par souci du sort réservé à leurs proches, la majorité des jeunes (21 classes d’âge au total) n’ont pas pu faire autrement que se soumettre au service militaire obligatoire imposé par l’ennemi. Les tentatives de résistance ont toutes été réprimées. Je pense notamment aux 18 jeunes réfractaires de Ballersdorf et de Retzwiller dans le Sundgau, qui en 1943, résistèrent aux ordres nazis et tentèrent de rejoindre la Suisse le long de la voie ferrée. Ils furent exécutés pour l’exemple quelques jours plus tard, au camp de concentration du Struthof. Je pense aux 42 officiers de réserve alsaciens de l’Armée française qui refusèrent le port de l’uniforme. Transférés au camp de Neuengamme en 1944, 22 d’entre eux y sont morts.
Beaucoup de ceux qui durent partir combattre en Russie subirent les horreurs et les souffrances de ce front.
Partir à la guerre pour défendre l’idéal de son pays, cela demande déjà du courage pour surmonter sa peur. Mais partir là-bas, avec l’uniforme et les armes dont on souhaite la défaite, c’est une souffrance bien plus grande encore.
Plus de 30 000 Alsaciens et Mosellans n’en sont pas revenus. Beaucoup de ceux qui survécurent furent internés. La souffrance de la détention ! A Tambov, ils subirent des conditions extrêmement dures, comparables à celles des déportés des camps nazis : sous-alimentation, travaux exténuants, conditions d’hygiène déplorables, punitions sévères, le froid terrible, la mort pour beaucoup d’entre eux.
En plus des atrocités qu’ils ont vécues dans leur chair et leur conscience, les « Malgré nous » et les «Malgré elles» ont aussi dû subir longtemps l’incompréhension de l’histoire et, plus douloureuse, celle de leur famille.
Il a fallu à l’Association des évadés et incorporés de force un long cheminement de plusieurs décennies pour que les souffrances des « Malgré nous » soient reconnues. Obtention en 1958 de la carte de combattant, indemnisation versée en 1979 par l’Allemagne à ceux qui ont servi dans les unités militaires. Le combat des 15 000 « Malgré elles » a été plus long encore. Les survivantes, enrôlées de force dans le service du travail obligatoire et le service auxiliaire de guerre ont attendu 1987 pour obtenir réparation.
Ce n’est qu’en 2008, grâce au soutien du Ministre Jean-Marie Bockel, que les «Malgré nous » encore en vie ont pu obtenir un accord d’indemnisation de l’Etat allemand en contrepartie de l’incorporation de force qu’ils ont subie. Mobilisés de force sous un uniforme qu’ils rejetaient, les incorporés de force sont enfin reconnus comme des victimes à part entière du nazisme.
Dans notre hommage d’aujourd’hui aux « Malgré nous », associons leurs familles, éloignées d’eux et parfois déportées, des familles qui ont fait face aux amalgames, aux critiques, aux diffamations, à la méconnaissance, aux insultes, au mépris, à toute cette violence des mots et des regards, exprimée à tort et parfois avec acharnement.
Ailleurs en France, on connaît mal l’incorporation de force des Alsaciens et des Mosellans dans la
Wehrmacht et le sort de ces 130 000 jeunes. Ils ont longtemps été oubliés et leur histoire déformée par des appréciations simplistes.
Transmettre cet hommage solennel doit nous aider à mieux vivre en paix. Vive la République et
vive la France.
Vincent Ruetsch, conseiller municipal délégué au devoir de mémoire.
